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6 14 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

espagnols ou italiens que leur pères, et ils nous détestent davantage, car ils ne se souviennent pas de la misère d'où nous les avons tirés.

Dans mon conseil municipal, j'avais plusieurs de ces gens-là : Mammo, le gargottier que vous avez connu et qui ne me pardonnait pas d'avoir installé à Ben Nezouh un hôtelier provençal ; Lubrano, le pharmacien, qui avait dû quitter Constantine après une histoire de poison assez mal éclaircie, et qui continuait de vendre ici des remèdes avariés ; un certain Gonzalvez, venu d'Oran, je crois, ancien conducteur de prolonges, aujourd'hui débitant d'anisette espagnole. Celui-là, c'était à sa façon un homme de génie. Autour de l'oasis, sur les pistes que suivaient les caravanes, il avait acheté quelques lopins de sable qu'il ensemençait d'un peu d'orge ou de blé. Un chameau, des moutons venaient-ils à s'écarter pour brouter cette herbe rare, un garde qu'il avait posté là, surgissait d'une cabane en roseaux et mettait la main sur la bête. Vous le savez, rien n'effraie plus un paysan, un nomade, que la vue du papier timbré, et puis des gens qui passent avec de grands troupeaux peuvent-ils s'arrêter, aller discuter en justice ? Le plus souvent ils préféraient payer, sans barguigner, la somme que le bandit réclamait, ou même abandonner la bête qui faisait l'objet du litige. Et de la sorte Gonzalvez aurait bientôt possédé le plus beau troupeau du pays, si le juge prévenu par moi n'avait refroidi son zèle.

Il y avait bien aussi des Arabes dans mon conseil muni- cipal. Mais que pouvaient-ils les^auvres gens ! Ils n'avaient dans le conseil qu'une voix consultative. Un Mammo graillonneux, un Gonzalvez qui vivait du poison dont il

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