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6^6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'âpreté de la veille, si je n'avais eu près de moi un homme qui depuis vingt ans ne me quitte pas plus que mon ombre, et dont j'aurais déjà dû vous parler longue- ment, car c'est lui qui m'a fait le mieux comprendre ce qu'il y a dans cette race arabe, chez les simples agricul- teurs, chez les bergers, chez les nomades, chez tous ceux qui n'ont pas été gâtés au contact des mauvais maîtres, de puissance de dévouement, d'endurance au travail, de mépris du danger et de vraie poésie.

Avant d'entrer chez moi il avait fait la contrebande du sucre dans le Sud. Bien souvent il m'a raconté les prodigieux voyages de ces contrebandiers à travers le Souf et l'Erg. D'ordinaire, c'est à Gabès qu'ils vont chercher leur mar- chandise. Ils la chargent à dos de chameau dans des sacs de laine, qui compriment si rudement le flanc des bétes qu'on en voit peu résister à deux ou trois expéditions de ce genre. Puis la caravane se met en route vers les déserts les plus affreux, les plus brûlés qu'il y ait au monde. Là, sur d'immenses espaces on ne trouve qu'un puits, le puits de Bereçof, mais la douane y est installée. Il faut descendre plus au Sud, faire un immense détour à travers l'Erg sans eau, sans chemins connus, embrasé. Les chameaux glissent des quatre pieds sur les pentes de sables et crient désespé- rément en agitant leurs grands cous ; on doit alors les décharger, les faire agenouiller, les charger de nouveau, puis la marche reprend. Les contrebandiers s'en vont, la bouche étroitement voilée, serrés dans leurs vêtements de laine pour ne rien laisser perdre de l'humidité de leurs corps. Ils ne parlent plus, n'urinent plus. Pour soulager la soif qui les brûle, ils ne trouvent en chemin que de gros scarabées qui vivent dans ces sables et qu'ils brisent entre

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