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ySO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jambes nues, le long fusil Gras passé en travers des épaules. Un petit esclave, derrière eux, suant et morveux, traîne dans la poussière un crâne de coudou, superbement encorné, tout saignant encore. Je les arrête : ils ne se font guère prier pour me raconter leur chasse. Tout en parlant, ils s'excitent, font des gestes, miment tel épisode. Leurs yeux brillent de plaisir et de vanité. Avec un sourire, l'un d'eux me montre le coutelas de fer dont il se servit pour décapiter l'antilope. J'achète crâne et cornes pour deux thalers, moins de cent sous, et ramène au campe- ment les deux noirs dont le visage franc, la brusquerie, l'air d'assurance avec lequel ils me regardent bien en face me changent de l'évasive déférence abyssine.

Dîner devant la tente. L'air reste chaud ; pas un souffle ne l'agite ni ne disperse l'entêtant parfum que les fleurs de mimosas épanchent dans la nuit. Obscures délices et trop appuyées ! Parmi cette tiédeur, ces odeurs, sous ce ciel qu'on ne voit pas, je me sens me délier et m'afFadir, comme tout à l'heure à l'ombre des bananiers et des citronniers. De la rivière qui coule à notre gauche, — si proche que parfois on entend le ruissellement de ses eaux sur les galets, — s'élève la voix cassée des grenouilles. Ce n'est pas le bruit de friture des étangs de chez nous, mais une sorte de borborygme espacé et gut- tural, qui ne paraît continu qu'à cause de la multitude des gosiers qui l'exhalent. Voix honnête d'ailleurs et qui, peu à peu, me persuade de dormir.

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