LE THÉÂTRE 169
pour tendresse paternelle ; mais dans la claire lumière où l'a transporté Euripide, le sujet ne parvient plus à triompher de l'anachronisme qui dès l'origine le vicie. Ah, qui nous donnera la terrible figure de l'Agamemnon véritable ?
En dehors même du sujet qui ne nous touche guère, la pièce de Moréas manque de toutes les qualités qui sont propres au théâtre. Aucun dynamisme : rien qui aille en avant. Aucun mouvement de la phrase ou de la scène. Les répliques se rangent les unes à côté des autres comme des soldats qui tiennent bien l'alignement et qui obéissent à une direction commune, mais que ni sympathie ni répulsion ne font se join- dre, se heurter, lutter corps à corps. Combien cela manque de passion et de mêlée ! On ne saurait imaginer langage plus par- faitement dépourvu de mouvement éloquent. Le mépris de la tirade y est poussé jusqu'à la crainte de tout élan. Dans son dialogue, Moréas vise à la familiarité grecque, mais il n'atteint pas à l'aisance, à la vie, à la chaleur lyrique. Si brusquement l'attention est saisie, c'est par une belle tournure syntaxique, par l'heureux emploi d'un adjectif, par un ingénieux archaïsme : beautés grammaticales et exquises qui feraient merveille dans un sonnet ou une stance.
Laisse-moi vivre encore, mon père, ô mon père !
Eh quoi ! déjà serait-ce assez. ? A peine florissante, irai-je sous la terre
Avec les pâles morts glacés ?
Mais dans une tragédie, il ne s'agit plus d'élire quelques thèmes poétiques, propices à l'image et à la strophe. Il faut débattre un procès, construire un récit, nouer un drame, raconter non pas ce qu'on a plaisir à dire, mais ce qui est nécessaire. Et ceci requiert une sensibilité plus ouverte, un tempérament plus impulsif, et, si j'ose dire, plus intéressé, une curiosité sans cesse en éveil, une sympathie qu'il vaut encore
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