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348 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Viens j les vins sont aux plages Et les flots par millions.

L'illumination verse les mots, les sons, les rhythmes, comme les sensations et les idées. Elle se refuse à rien préméditer. Ainsi nie-t-elle l'art dans sa démarche, mais réalise-t-elle dans sa réussite inspirée, l'art suprême. Art tout d'instinct, sans système logique, sans système rhythmique, hors de la prose, hors des vers... art d'exception... — Mais pouvait-on souhaiter que fît école le génie-enfant de Rimbaud ?...

Aussi bien c'est dans un splendide isolement que depuis lors règne son œuvre et c'est par delà le poème en prose, en un Philippe, en un Claudel, que son influence aura rayonné. L'éclair a traversé l'éther et s'est perdu au noir abîme : le poème en prose n'a plus reparu à son état de pureté première; l'avènement des nouveaux rhythmes, décomprimant les forces vives du lyrisme, en détourna les jeunes poètes pour un temps. Forme naturelle, forme nécessaire de l'illumination poétique, il n'a rien de commun avec les morceaux accomplis — prémé- dités, soignés, polis, quasi-classiques, d'un Renard, d'un Schwob, d'un Louys. Il sommeillait : M. Fargue l'éveille.

Si M. Fargue continue Rimbaud, c'est comme Rimbaud continuait Baudelaire ; il ne l'imite point. Ses illuminations ne sont ni lave, ni foudre. Elles éclairent non pas seulement, non pas surtout, d'étranges paysages, de tragiques aspects de ville, d'improbables visions, mais de préférence des ruelles basses, suspectes et baignées de nostalgie, de préférence les plus intimes coins du cœur. Je ne doute pas que, comme le jeune Rimbaud, M. Fargue n'accueille dans ses Poèmes^ rien que de spontané, d'irrésistible. Mais il a plus de douceur dans la rêverie et peut-être plus de présence d'esprit quand il s'agit de la fixer. II est moins ivre, ou plus maître de son ivresse. Il s'agit bien

' Editions de la Nouvelle Revue Française.

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