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LES POÈMES 349

toujours de tracer l'image la plus fidèle de l'incessant délire d'une nature richement douée sous le rapport sensuel, prompte à saisir les échos, les reflets, les analogies. Mais M. Fargue le fait plus posément qu'Arthur Rimbaud ; il le fait en deux temps ; il s'y complaît, il s'y attarde. Il a le temps de s'y com- plaire, car ses constructions sont rarement supra-terrestres, elles tiennent, par la base, à l'univers de tous les jours et il aime d'un cœur trop tendre les prétextes vivants de ses impressions pour s'échapper dans l'infini ; il garde le contact avec la terre.

La rue est triste comme une porteuse de pain congédiée, et toutes les maisons ont leur tablier gris. La-haut les marches vieilles et caves touchent ce ciel songeur qui est le front de toutes choses. Un quinquet penche sa tète creuse où brûle encore, comme un rappel de fièvre au soleil neuf, la huppe d^une penséey d^une vieille pensée qtCon n'a pas tuée.

Ou bien :

Une branche de canal fuit sous les lampes. Les arcs voltalques y bercent par instants de grêles escaliers d argent. U arche d^ un pont semble monter comme une trombe. V écluse embouche par ses hautes portes grinçantes et criblées de blessures, les longs clairons de Veau stridente. Elle tord et cambre au vent sa crinière.

faime entendre encore longtemps sa grande chanson crevée et fraîche...

Et cet étonnant Départ pour la guerre!

Je l'avoue, je préfère (et nous devons peut-être préférer) aux morceaux les plus riches de suggestions imagées, où l'abus des " comme " et des " ainsi que " gâte parfois l'émotion, où perce malgré tout une pointe de littérature — car le jeu de l'analogie si naturel à M. Fargue risque cependant à la longue de faire figure de procédé — je leur préfère dis-je, malgré leur rareté et la justesse qui les sauve de l'artifice, tel poème plus nu et plus simple, moins coloré que musical, où la valeur senti-

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