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��NOTES

��LES HUMANITES ET LES INGÉNIEURS, par Henry Le Chàtelier, (brochure éditée par la Ligue pour la Culture française chez Fayard),

Qui de nous est insensible au lyrisme de ces échafaudages géants, à la fois pesants et ajourés, formidables et graciles, qui se dressent depuis peu au centre de Paris, en pleins boulevards ? Au-dessus de la foule arrêtée, ils emplissent l'air de leur gesticulation éperdue. Des badauds tout le jour se relayent pour contempler, bouche bée, ces bras d'acier qui font tournoyer sur nos têtes d'énormes blocs, de lourdes poutres, et les déposent avec élégance sur la travée précise qui les attend.

Il faut observer ces visages ; on n'y lit pas seulement de la curiosité, de la stupeur, mais un secret orgueil. Mystérieux sentiment de la connexité des efforts entre les hommes d'une même race ! Le moindre de ces promeneurs se flatte et se prévaut en lui-même de la réussite de cette œuvre à laquelle il ne collabore pas. Ces puissants appareils prennent un sens symbolique à ses yeux ; il y voit l'image de la vie moderne triomphante, et je ne sais quelle preuve brutale de la vérité de la science. Car la science c'est avant tout, pour la foule, quelques- beaux outils mystérieux, une machine luisante, une locomotive, le téléphone...

Aussi ne m'étonnai-je pas, l'autre jour, d'entendre Bouvard ou Pécuchet qui, tout près de moi, déclarait d'un ton senten- cieux : " Il faut choisir : ou bien c'est cela qui vaincra (et d'un geste large il montrait la grue gigantesque qui virait doucement

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