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478 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

en flaire les tentures. Sur les degrés, il cherche telle tache de sang, telle éclaboussure sur la plinthe, et le bord de ce marbre écorné dans une atroce lutte. Ces murailles qui suent toutes les tragédies et les farces lugubres du destin, il les presse de la main ; il en recueille les sueurs scélérates, et les vénéneuses essences. Il coule ces poisons splen- dides dans ses fioles. Nul ne le surprend, et il emporte sous sa toge l'odeur de Tibère à Caprée, et le rire meurtrier de Caligula. Demain, il va ranger ces flacons dans son armoire ; et chaque bouteille contient beaucoup plus que l'homoncule du magicien : un césar de pied en cap, un monstre d'humanité ou un prodige.

Il sait entrer dans les lieux interdits. Il est habile à faire parler les eunuques plissés par la rancune, à confesser les vieux esclaves et les vieilles femmes tristes. Il n'y a plus d'horreur, ni de honte, ni d'épouvante pour lui : la curiosité emporte tout. Et après deux mille ans, la nôtre le suit. La même avidité de connaître nous anime. Je ne veux pas distinguer entre les diamants, les sanglants rubis et les opales funestes de ce trésor : s'il fallait perdre un chapitre de Caligula, ou une page de Jules César, j'en serais au même regret. Mais nous ne perdrons rien, je vous dis.

Gaïus Suetonius Tranquillus, calme et sérieux, impénétrable, ayant travaillé avec l'Empereur, sort du cabinet, comme tous les soirs, à la même heure.

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