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SOLITUDE 45

semble que le fantôme d'un vaincu le suive, l'empoigne par les jambes comme une épave et le paralyse... Son cœur se hausse et veille devant, comme au poing d'un oiseleur. Sa pensée mendie, le tire en arrière et l'accable de prières...

Il ne pourra que se tenir devant elle et attendre, l'âme toute grande ouverte, comme un dépositaire fidèle, les fleurs et les fruits de sa journée, tout ce que la lumière aura choisi pour elle, et qu'elle voudra bien lui donner...

Il voudrait qu'il lui fût permis de se taire à côté d'elle, de s'agenouiller en silence, de la regarder de toutes ses forces, à longs traits, comme on apaise une grande soif... Il voudrait qu'il lui fut permis de s'étendre dans un coin d'ombre, pour l'écouter parler encore, toute droite dans la lumière...

Il l'a si bien comprise, il l'a si violemment éprouvée, qu'il lui semble qu'elle fait un peu partie de lui-même, et que c'est un peu de son cœur si lourd, un peu de ses larmes, un peu de ses yeux à lui qui s'en vont quand elle s'en va...

Celui qui aime a fait beaucoup de chemin tout seul, à l'insu de l'autre, dans l'étourderie de l'enthousiasme et dans l'égoïsme distrait de l'amour... Il s'annexe l'autre et s'y impose, jusqu'à oublier toutes les frontières, jusqu'à oublier l'Indi- visible, et il en dispose comme de soi-même...

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