LES ROMANS 517
ma thèse le remarquable talent de M. de Voisins, peindre un enfant en lui prêtant ses propres sentiments, ses propre? émotions, ses propres goûts, sa vision personnelle des êtres et des choses, n'est-ce pas pour un poète une trop grande facilité, et j'ajouterai : une trop grande restriction ? Oui, c'est une occasion de " filer " quelques jolis morceaux, de brosser quelques précieux décors, de susciter une caressante atmosphère. Mais c'est aussi s'exposer à ce jugement des spécialistes : " Je sais comment cela se fait ; je le ferais moi-même si j'avais à le faire ". C'est courir le risque du toutfaity de la formule, et je dirais presque : du poncif. C'est interposer entre sa vision et la réalité cette imagerie poétique ou romanesque, ces oripeaux littéraires dont je parlais tout à l'heure. Et, partant, c'est limiter singulièrement le champ des découvertes ; c'est restreindre le bénéfice de l'invention,, de la nouveauté, de l'inédit ; c'est fermer les yeux devant l'inconnu.
Une hypothèse scientifique est rejetée par les savants du jour oîi elle cesse d'être féconde, où elle n'est plus une occasion de découvertes. Le chercheur, physicien, chimiste ou naturaliste, s'empresse d'en adopter une autre dont le rendement sera supérieur. Pourquoi en irait-il autrement dans le domaine littéraire ? — Mais, dira-t-on, quelle h)-pothèse adopter ? — Eh ! mon Dieu, il en est une que je n'appellerai pas commode, mais qui est admirable, et qui peut ttxc féconde, et qui est sans doute vraie : je parle de celle qui est formulée par Dostoïevski dans les Frères Karamazov. Ivan dit à Aliocha : " Les enfants sont des êtres d'une autre nature que les adultes ". Mot profond, mot qui va loin et que j'aurais souhaité que M. Gilbert de Voisins inscrivît en tête de son livre.
" Des êtres d'une autre nature que les adultes ". Un monde à part. Des pensées qui ne sont pas les nôtres. Des tendances, des désirs, des émotions, des sentiments, des débats, des résolutions, Une fermentation, un bouillonnement de l'être physique et moral à quoi nous sommes devenus étrangers...
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