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LES REVUES S5S

d'hui, le petit horizon qui m'est dévolu, pour parler comme M. Lavedan, m'offre plus d'espace. C'est d'abord le feuillage d'un haut marronnier qui pénètre presque dans ma chambre, puis un jardin, que continuent pour les yeux, au delà dcô légères clôtures, d'autres jardins, comme un grand parc sans maisons. Là-bas, au loin, un train qui passe, et plus loin encore, sur un coteau, Robinson, dans un peu de lumière et le bruit léger des musiques. Et si j'abaisse mes regards, je vois mes chiens couchés çà et là, dormant ou guettant, la mobile tache blanche de l'oie qui se promène, et là, au pied d'un autre marronnier, l'autre tache blanche de la chèvre qui somnole au bout de sa corde. De temps en temps, un de mes chats passe, rentrant à la maison ou la quittant pour aller flâner. Par-dessus tout cela, la nuit, le silence, à peine troublés de l'heure qui sonne quelque part, ou du lointain aboiement d'un chien. Qu'il ferait bon, et comme on pourrait essayer de se laisser aller à l'illusion d'un peu de bonheur, si la vie, plus on vieillit, ne se faisait si cruelle, ne devenait si décevante ! Hélas ! depuis trois jours il manque quelque chose à ce petit horizon. Le chat Pipe est mort, un être si gai, si vif, si aimant, si heureux aussi dans le grand jardin ! Je n'entends plus dans la nuit le bruit familier de son grelot qui permettait de tout deviner de sa promenade. Les chiens ne le verront plus venir se coucher auprès d'eux, ni les arbres ses joyeuses grimpades, et il manque à ma table, aux heures des repas, parmi tant de bons yeux de bétes, deux beaux yeux confiants. Je vois de ma fenêtre la place où je l'ai enterré, couverte d'une large tuile, toute lavée par la pluie. Je pense à cela. Je regarde. Je me rappelle. Petit horizon, jardin, maison, où j'avais rêvé de voir mes bétes si heureuses ! "

��Mémento. — Le Correspondant (25 Juillet) ; " Lettres inédites " d'Eugénie de Guérin à M. Philibert de Roqucfeuille.

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