ARTHUR RIMBAUD 559
oreilles d’un monde abject et abruti, dans le fracas
d’une littérature grossière. Et cela suffit. « J’ai
brassé mon sang. Mon devoir m’est remis. » Il a
fini de parler. On ne confie pas de secrets à un
cœur descellé. Il ne lui reste plus qu’à se taire et
à écouter, sachant, comme cette sainte encore, que
« les pensées ne mûrissent pas d’être dites. » Il
regarde avec une ardente et profonde curiosité,
avec une mystérieuse sympathie qui ne peut plus
être exprimée en « paroles païennes » ces choses
qui nous entourent et qu’il sait que nous ne
voyons qu’en reflets et en énigmes ; « un certain
commencement, » une amorce. Toute la vie n’est
pas de trop pour faire la conquête spirituelle de
cet univers pénétré par les explorateurs du siècle
qui finit, pour épuiser la création, pour savoir
quelque chose de ce qu’elle veut dire, pour douer
de quelques mots enfin cette voix crucifiante au
fond de lui-même.
Il nous reste quelques feuillets de son « carnet de damné, » comme il l’appelle amèrement, quelques pages laissées par notre hôte d’un jour en ce lieu qu’il a définitivement vidé « pour ne pas voir quelqu’un d’aussi peu noble que nous. » Si courte qu’ait été la vie littéraire de Rimbaud, il est possible d’y reconnaître trois périodes, trois manières. La première est celle de la violence, du mâle tout pur, du génie aveugle qui se fait jour comme un