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79^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nous mène au-delà de sa réalité jusqu'à ses élé- ments imaginaires ; par elle il prend un détail qui le rend méconnaissable ; elle précise tout jusqu'au fantastique ; elle démembre tout à force de recti- tude et de persévérance.

C'est pourquoi, partout où elle passe, le monde devient si inquiétant. 11 semble que chaque objet soit comme soulevé de sa place et qu'il diffère de soi ; il désapprend sa situation, s'écarte de lui- même et, avec un morne effroi, se contemple comme s'il voyait un inconnu. On a raison de dire que la science aboutit à une ignorance ; mais c'est à une ignorance fabriquée. Voici qu'en face de ce que nous connaissions pourtant si bien, nous entrons en stupidité. Les visages les plus familiers, ceux dont notre habitude était telle que nous ne pensions pas à nous poser de questions à leur sujet, soudain la science nous les rend étrangers par quel- que doute saugrenu qu'elle nous force à éclaircir.

Elle ne se contente pas de défigurer les choses ; elle construit encore de toutes pièces des fantômes, des épouvantails. L'esprit ne s'arrête pas, avons- nous dit : la science en conclut que le monde ne s'arrête nulle part ; ainsi invente-t-elle l'infini. Elle l'introduit aussitôt partout ; elle multiplie les étoiles au-delà de toute imagination, creuse des abîmes absurdes entre les astres, établit de l'un à l'autre des distances si énormes qu'elles n'ont plus aucune signification. En même temps elle

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