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SEPT HOMMES 813

Les clients me connaissaient bien : je faisais toute la besogne. Mais plaider pour mon compte, il n'y fallait pas songer : nul ne m'aurait suivi, tant le prestige du vieux s'imposait aux jobards. Un jour, seul avec moi, enveloppé dans la robe de chambre écarlate qui nacrait son teint pâle et ses cheveux blancs, il feuilletait un dos- sier. Une petite toux, puis il s'arrête de remuer les pages et se renverse en arrière... Tout de suite, j'ai vu qu'il était mort, que c'était fini, que la clientèle m'appartenait, que je devenais un grand et riche avocat. J'appelle au secoiu^. On l'emporte, on le couche sur son lit. Tout le monde s'efïàre, court, et déjà, les jeunes secrétaires s'ap- prochent respectueusement de moi. Mais au seuil du bureau, le regard tendu vers une porte, j'attendais !... Je suis bien resté dix minutes à écouter minutieusement des bruits que je ne percevais pas, à guetter des choses qui s'obstinaient à ne point venir...

La fantaisie me prit une fois, — et mon intérêt Y trouvait son compte, — de siéger à la Chambre. Après l'écœurante campagne, et les coups de gueule donnés quotidiennement, six semaines consécutives, dans les granges, les écoles et les estaminets de ma circonscription, me voilà donc assis, le soir du scrutin, dans une boutique vide, au milieu de mon comité, à pointer les résultats qu'apportaient des courriers et des cyclistes, que le télégraphe lançait. A chaque instant, grossissait le nombre des suffrages recueillis par ma candidature, et mes adversaires, distancés, paraissaient hors de combat. Un galop de cheval terminé par une pétarade de fers sur le pavé, l'entrée d'un gros paysan qui brandit une poignée de papiers, et mes

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