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à travers le grönland.

« Quant à nous quatre, nous fîmes bon accueil à la gamelle, et trouvâmes le mets excellent. »

Je n’avais pas fait cuire le dîner pour économiser notre provision d’esprit-de-vin. Durant la dérive sur la banquise, nous ne nous donnâmes que rarement le luxe de cuire nos aliments. Comme boisson, nous avions l’eau claire des flaques éparses sur les glaçons ; mélangée à du lait condensé, elle fournissait une excellente boisson très agréable. Ce jour-là, à la place de viande de cheval, les Lapons reçurent, à leur grande satisfaction, des conserves de bœuf ; pareil festin leur fit oublier leur premier désappointement. Le bœuf, c’était, disaient-ils, de la viande propre et fortifiante.

À ce propos, il me paraît intéressant de reproduire la réponse faite par Balto, à son retour en Norvège, lorsqu’on lui demanda quel avait été à son avis le temps le plus dur pendant le voyage. « Le pire, raconta-t-il, ce fut lorsque nous dérivions sur le Grand Océan. Un jour, pendant que nous étions sur la banquise, je dis à Nansen : « Pensez-vous que nous puissions atteindre la terre ? — Oui », me répondit-il. Je lui demandai ensuite ce que nous ferions alors. « Nous nous dirigerons en canot vers le nord », reprit notre chef. « Très bien ; mais si nous ne pouvons traverser le grand glacier et arriver sur la côte ouest, de quoi vivrons-nous ? ajoutai-je. — « Nous tuerons du gibier, me répondit Nansen. — Mais avec quoi le cuirons-nous ? demandai-je. — Mais nous le mangerons cru », repartit-il. Pareille perspective avait découragé Balto.

« Dans la soirée nous réussissons à faire encore un peu de route. Le soir nous campons.

« Le ciel est couvert d’un épais brouillard humide qui nous transperce ; avec cela il souffle une brise piquante du nord-ouest ; peut-être disloquera-t-elle la banquise.

« 25 juillet. — A quatre heures et demie du matin, l’homme de quart me réveille pour m’annoncer l’approche d’un ours. Je le prie d’aller prendre de suite un fusil dans les canots, pendant que je passe en toute hâte mes bottes et sors de la lente sans prendre le temps de m’habiller. L’animal arrivait droit de notre côté, au moment où Kristiansen m’apporte le fusil ; il s’arrête, nous regarde