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a travers le grönland.

loin et avoir atteint l’altitude de 1 947 mètres. Du point où ils rebroussèrent chemin, à perte de vue s’étendait devant eux la nappe blanche de l’inlandsis. Il y a, à mon avis, des raisons de douter que les Lapons se soient avancés aussi loin dans l’intérieur du pays. Leur évaluation de la distance parcourue est exagérée.

Le 25 juillet, la caravane de Nordenskiöld battit en retraite et, le 3 août, arriva à l’Aulaitsivikfjord, après avoir passé trente-un jours sur le glacier[1].

La région parcourue par la caravane était accidentée et coupée de larges crevasses, mais beaucoup plus unie que les parties de l’inlandsis visitées jusque-là. À une certaine distance dans l’intérieur du pays s’étendait notamment à perte de vue vers l’est une immense plaine de neige sans crevasse et sans monticule de glace. C’est la découverte de celle plaine qui me donna l’idée d’entreprendre notre exploration. L’expédition de Nordenskiöld s’avança plus loin vers l’est que toutes celles organisées auparavant et atteignit le grand désert de neige situé au centre du Grönland.

On pourrait croire qu’après ce voyage Nordenskiöld n’eût plus cru à l’existence d’une terre libre dans l’intérieur du Grönland. À son retour telle fut en effet sa pensée ; mais quelque temps après il revint à son idée première. « Pour des raisons que j’expliquerai plus loin, écrit-il, je doute de l’existence d’une carapace de glace continue, et peut-être la région visitée par nous n’est-elle qu’une large bande de glaciers qui s’étend à travers la péninsule entre le 69° et le 70° de latitude nord[2]. » Ce changement d’opinion du célèbre voyageur provenait de la rencontre de deux corbeaux dans l’intérieur du pays.

Ces oiseaux, racontaient les Lapons qui les avaient vus pendant leur reconnaissance, venaient du nord et, après s’être posés sur la trace laissée par les patins sur la neige, retournèrent dans cette direction.

« À cette époque, écrit M. Nordenskiöld, les corbeaux ne s’éloignent guère de leurs nids, généralement placés sur la côte. » La

  1. A.-E. Nordenskiöld, la Deuxième Expédition suédoise au Grönland.
  2. ld. ibid., loc. cit., p. 115, note 2.