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a travers le grönland.

sont prêts. Grande est mon anxiété de voir comment ils se comporteront et si la voile sera assez grande pour les deux véhicules. La toile hissée, les traîneaux reçoivent une vigoureuse impulsion ; s’ils n’avaient été profondément enfoncés dans la neige, ils auraient filé devant nous. Le vent secoue le gréement, et de crainte d’accidents, nous prenons de suite place devant les véhicules. Poussé par la brise, le traîneau vient nous frapper avec force les jambes et nous culbute. Nous nous relevons et recommençons la tentative, mais elle n’est pas plus heureuse ; à peine sommes-nous sur pied que nous voici renversés de nouveau. Cela dure ainsi quelque temps. Il est nécessaire de modifier l’agencement de la machine.

Un de nous, monté sur les ski, se place en avant, tenant vigoureusement à la main un bâton inséré entre les deux traîneaux en guise de timon ; il gouverne avec ce bâton et se laisse glisser, poussé par le véhicule. Deux d’entre nous, également montés sur des ski, se tiennent au dossier du traîneau.

Le signal du départ est donné. Sverdrup prend place au timon de notre traîneau et nous filons rapidement. Cramponné à l’arrière du véhicule, je suis entraîné à toute vitesse sur les ski, pendant que Kristiansen file par derrière en patinant. La déclivité, maintenant plus accusée, rend la vitesse vertigineuse, le traîneau semble voler à la surface du glacier. A chaque instant mes patins butent contre l’extrémité d’un ski amarré sur notre véhicule et ma marche en est fort gênée. Malgré mes efforts, impossible de repousser ce patin, la situation devenait surtout critique en descendant les monticules de neige, mes ski s’engageaient alors sous le malencontreux patin sans que je pusse m’en dégager. Et Sverdrup continuait toujours sa course, persuadé que Kristiansen et moi étions bien tranquillement assis sur le traîneau. Je n’étais pas au bout de mes tribulations. Voici qu’une hache à glace mal assujettie commence à se détacher. Je ne pouvais laisser perdre un objet aussi précieux ; j’étais en train de l’amarrer, lorsque le traîneau arrive au sommet d’une pente. Le malencontreux patin qui me donnait déjà tant de tablature vient alors me frapper les jambes, me culbute, et je lâche le véhicule. Pendant ce temps le traîneau dégringole à toute vitesse la pente et