Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/116

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mention de la Minerve. Au ministère de la marine on affirmait ne rien savoir. La consternation devint générale à Brest, où la famille de Résort se trouvait encore.

Les gens compétents répétaient, : « Cent à parier contre un que la Minerve est en ce moment saine et sauve en pleine mer ; après avoir tenu la cape, elle a dû fuir devant la queue de la tempête… » Des jours s’écoulèrent encore sans nouvelles. L’inquiétude allait croissant. M. et Mme de Résort se cachaient réciproquement la leur, que Marine devinait et partageait. Le commandant courait matin et soir à la préfecture maritime. Il revenait en disant : « Rien encore ; » il ajoutait : « Cela n’est pas étonnant », pour telles ou telles raisons.

« Non, répondait sa femme, c’est tout naturel… » Et puis on essayait de causer, de se mettre à table, de sortir, car il fallait distraire Paul… Mais quelles angoisses secrètes et quelles terribles nuits !

Un dimanche, par une triste après-midi de la fin de décembre :

« Je ne puis rester davantage à Brest, Madeleine ; il nous faut partir. »

M. de Résort avait dit cela au moment où le déjeuner finissait, les plats laissés presque intacts. Paul lui-même mangeait à peine, et il pâlissait au milieu de cette atmosphère de tristesse. Personne ne répondit, et M. de Résort ajouta « Je dois être à Paris le 2 janvier et rien ne nous retient ici.

— Vous avez raison, mon ami, nous ferons nos malles ce soir ; les enfants ont aussi besoin de reprendre leurs études régulières… »

Et puis on garda le silence et la mère se disait : « Partir, remuer avec ce poids sur le cœur ! » Des larmes drues et pressées tombaient des yeux de Marine dans son assiette.

« Allons, mes enfants, s’écria M. de Résort, allons nous promener, montons à Recouvrance et à la chapelle de Sainte-Anne du Portzic, cela nous distraira.

— Oui, c’est cela, allez, dit la mère.

— Pas sans vous, maman, s’écria Marine ; nous ne vous laisserons pas seule ici. »

Mme de Résort ne résista pas au désir de sa petite Marine ; cependant elle savait que l’angoisse la suivrait partout.

Il ne pleuvait pas, mais une teinte grise et uniforme envahissait la terre et le ciel ! Très uniformément sombre, la crête blanche des vagues exceptée, cette étendue d’eau n’était pas faite pour égayer ceux qui la regardaient.

Les hautes mâtures des vaisseaux disparaissaient dans la brume. On distinguait à peine le Goulet et les îles situées à l’entrée de Brest. Ce paysage semblait lugubre, ainsi noyé dans le brouillard. Après une