Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embarcations, faisant eau de partout ; malgré l’heure avancée, on dut la remorquer et l’étayer dans un bassin, car elle menaçait de couler à pic.

Aux pompes depuis une semaine sans trêve ni répit, les matelots étaient épuisés, ainsi que les officiers et les commandants ; mais parmi les cinq cents hommes composant l’équipage et l’état-major de la frégate, aucun ne manquait à l’appel. On pouvait donc se réjouir sans arrière-pensée.

Tout l’équipage fut ensuite débarqué, regrettant fort de manquer cette campagne du Levant, Eldorado de la marine. Un autre bâtiment avait été désigné au ministère pour porter le guidon de l’amiral commandant la station. Seuls les officiers supérieurs gardèrent leur poste et se rendirent à Toulon pour suivre l’armement du Jean-Bart.

Et, condamnée à ne plus naviguer, sa mâture rasée, la pauvre Minerve devint un ponton caserne.

Ferdinand passa encore une heureuse semaine auprès de ses parents en attendant un nouvel ordre, car les aspirants n’ont jamais de poste à terre. Son père et lui revinrent un matin de la préfecture au moment où le déjeuner était servi.

« Il y a du nouveau, n’est-ce pas ? l’ordre est arrivé, pour quelle station ? »

Mme  de Résort parlait ainsi, essayant de sourire ; mais elle se doutait que ce nouveau devait être peu agréable.

« Oui, Madeleine, Ferdinand est embarqué sur la Coquette, à destination du Pacifique.

— Ah ! dit la mère qui pâlit, et ce sera une longue campagne ?

— Ces croisières-là sont toujours longues ; il faut les faire tôt ou tard ; elles sont saines d’ailleurs, avec une navigation toujours belle. La Coquette est un très joli bâtiment neuf, bien aménagé.

— Alors, Jean, pourquoi cet air contrarié et soucieux ? Voyons, dites-le-moi.

— Eh bien, Madeleine, je vous avouerai que l’état-major de la Coquette me cause quelque souci, parce que je prévois bien des tiraillements à son bord, mais dont, je l’espère, une fois averti, Ferdinand saura rester à l’écart. Voyons, ma chère amie, ne prenez pas cette mine consternée, ajouta le commandant. Je gage que vous rêvez déjà un tas de choses invraisemblables ; déjeunons vite, ensuite je vous mettrai au courant ; avant de voir son nouveau commandant et les officiers, Ferdinand doit aussi être instruit et un peu conseillé par ma vieille expérience. »

Le déjeuner achevé, et dès qu’il remonta dans la chambre de sa