Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

femme, M. de Résort reprit le sujet qu’il n’avait pas voulu traiter devant les domestiques de l’hôtel.

« La Coquette, dit-il, déjà à moitié armée, sera tout à fait prête le 15 janvier au plus tard, et c’est le plus joli des bâtiments de son type. Elle se rend à la station de l’océan Pacifique, mais non pas en coupant au plus court, puisqu’elle passe d’abord à Fort-de-France, où depuis Brest elle devra convoyer la Caravane, un vieux transport assez détérioré, qu’on n’ose laisser traverser seul l’Atlantique, et l’opinion du préfet, comme la mienne, c’est que les deux bâtiments se perdront absolument de vue au premier coup de vent. Si donc le transport court quelque danger, tant pis pour lui, car l’autre ne sera jamais là pour venir à son secours.

— Cela ne pourra atteindre Ferdinand, il n’aura aucune responsabilité à bord ?

— Non certes ; mais premièrement, la plus grande partie de l’équipage provient de Cherbourg, et je vous dirai que Thomy se trouve parmi les matelots. Il s’est réclamé de nous, en affirmant au lieutenant que nous l’aimions à l’égal de nos propres enfants ! Cet imbécile peut causer du tracas à Ferdinand. Néanmoins, pour moi, la pierre d’achoppement, c’est la composition de l’état-major : trois enseignes, fort jeunes de grade ; cinq aspirants de première classe, presque des enfants ; un docteur à deux galons, et par contre un vieux commissaire.

— Et le commandant, et le second ?

— Le commandant, nommé Le Toullec, que je connais de longue date, est l’un des plus anciens capitaines de frégate de la marine, brave s’il en fut, très fin marin, à la façon des capitaines au long cours d’autrefois, chez lesquels l’expérience suppléait à l’instruction. Celui-ci ne manque pas d’intelligence, mais, ignorant comme une carpe, colère avec cela, et têtu autant qu’un Breton peut l’être, aussi mal embouché que le dernier des matelots, il jure et sacre à ses heures, et celles-ci arrivent fréquemment. Figurez-vous qu’un jour, le rencontrant dans une station d’Amérique, je conduisis des dames à son bord. Eh bien, je regrettai mon imprudence, car ces dames eurent lieu de rougir. Des amis communs affirment que Le Toullec s’est corrigé et qu’à présent il reste parfois une heure sans jurer. »

Les enfants et Ferdinand tout le premier éclatèrent de rire à ce portrait, leur mère fit chorus ; elle avait craint autre chose.

« Attendez, attendez, reprit M. de Résort, j’en arrive au point noir. Au cas où il obtiendrait un commandement, Le Toullec s’était précautionné d’un second qui vient justement d’obtenir un congé pour se marier. Ah ! Madeleine, si vous aviez pu entendre de quelle