Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/150

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Fort jolie, de la taille d’un enfant de quatre à cinq ans, cette guenon inspirait à Stop et au matou une égale aversion. Les deux animaux, devenus inséparables, essayèrent de jouer quelques mauvais tours à « Mademoiselle » (ainsi baptisée par les matelots dès son arrivée à bord). Mais, sans être agressive, la guenon était fort rusée ; vive comme l’éclair, elle se défendait et ripostait. Après avoir envoyé une gifle à Stop et tiré la queue à Pluton, avant que les deux animaux fussent revenus de leur surprise, « Mademoiselle », grimpée dans la hune du grand mât, battait des mains et poussait des cris aigus. Au bout d’une semaine, on en vint à une neutralité armée. Cependant Pluton fréquentait les aspirants et il boudait son maître.

Un matin, le commandant passa devant le poste où, la porte grande ouverte, on riait tout en déjeunant, les chaises très serrées les unes contre les autres. Stop et Pluton, gravement assis à table, une serviette sous le menton, paraissaient aussi heureux que les jeunes gens. Le chien et le chat vidaient les assiettes posées devant eux, très dignes, sans envoyer la patte d’un autre côté.

« Réellement, messieurs, s’écria Ferdinand, voilà deux convives extrêmement bien élevés et qui nous font honneur. » Et il ajouta en s’adressant aux bêtes : « Vous vous louez de votre sort et de la parfaite aménité de vos hôtes. N’est-ce pas, Stop, Pluton ? Répondez.

Wap, wap, fit Stop, en agitant violemment sa queue.

Rronrron, » fila Pluton, qui, enchanté du repas, faisait sa toilette. Les jeunes gens riaient aux éclats.

Le soir, après avoir mimé la scène au commissaire, l’unique personne à bord avec laquelle il entretînt des relations en dehors du service, Le Toullec s’écria :

« Commissaire, ces enfants valent seuls quelque chose ici. Vous le savez, je navigue depuis plus de trente ans, mais jamais avec un semblable état-major. Et quand je pense aux mois que cela durera encore, en s’aggravant… Un enfer que cette corvette !

— À qui la faute ? pensait le commissaire. À vous, commandant, tout autant qu’aux officiers ; étant plus vieux, vous eussiez dû nous donner l’exemple. »

Mais il n’osa formuler son opinion.

…La mer brille sous le grand soleil des tropiques, chaleur intense, calme plat. C’est dimanche, jour de repos. Les matelots ont essayé de danser à l’abri des basses voiles et des bonnettes qui fasient, mais ils renoncent vite à ce divertissement. Les planches craquent comme les vergues et les mâts au feu de ce ciel embrasé. Alors un maître entonne une chanson, dont les camarades répètent le refrain. Interminables complaintes, monotones, parfois drôles et