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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Tous les matins, le commandant prend connaissance du journal. En y jetant les yeux, Lé Toullec devint livide. Alors, en sacrant et en jurant, il sauta sur le cordon de sa sonnette tiré ; avec violence, le malheureux cordon demeura aux mains du furieux.

Un timonier répondit à l’appel.

» Commandant ? dit-il.

— Appelez le lieutenant. »

Langelle arriva, son carreau dans l’œil ; mais un observateur eût remarqué l’air hésitant et légèrement troublé du jeune officier. Sans répondre à son salut :

« Qu’est-ce que cette impertinence ? lui cria Le Toullec ; croyez-vous, monsieur, que je supporterai une pareille insulte si vous ne l’effacez immédiatement, monsieur ? J’en ai assez, monsieur, de vos insolences. »

S’il l’avait perdu un instant, Langelle reprit bientôt tout son sang-froid et répliqua :

« Commandant, dit-il, j’ignore absolument en quoi j’ai pu vous manquer, et, croyez-le, l’insolence et la grossièreté ne sont point mon fait ; jamais il n’est sorti de ma bouche un mot dont ensuite j’eusse le moindre regret.

— Oui, monsieur, vous êtes maître de vos paroles ; elles en deviennent d’autant plus irritantes pour votre vieux commandant, qui aurait l’âge d’être votre père et qui n’a eu ni votre éducation ni vos chances.

— Ah bien ! s’il le prend ainsi, se disait Langelle, je ferai tout ce qu’il voudra, bien certainement, et des excuses aussi. »

Mais, sans deviner les pensées de son second, croyant toujours être regardé avec insolence au travers de ce malheureux lorgnon, le commandant reprit en s’échauffant de plus en plus :

— Vous allez biffer ces lignes, monsieur, entendez-vous, je vous l’ordonne…

— Commandant, cet ordre dépasse vos droits, et je n’obéirai pas. »

« Réellement, disait Langelle plus tard en racontant la scène, réellement, j’ai cru que le malheureux allait me frapper ou avoir une attaque d’apoplexie, car il devint rouge, et puis livide et puis violet. »

Cependant Le Toullec se contint, et par un effort si violent que ses mains tremblèrent, posées sur la page du journal où on lisait :

« Le 10 octobre, à quatre heures et demie du matin, par 19° 2′ 51″ latitude et par 34° 17′ 35″ de longitude ouest, les basses voiles amurées, les bonnettes de hune et de perroquet hissées, filant cinq nœuds avec petite brise de S.-E. et faisant route à l’O.-S.-O., la Coquette a