Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/239

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Avant la marche de nos troupes sur la Katcha, les Russes crurent être inattaquables du côté de la terre ; mais, certains d’une gigantesque attaque par mer, ils accumulèrent tous leurs moyens de défense devant et autour de Sébastopol.

Au cours d’un tumultueux conseil de guerre présidé par le prince Menschikoff, les chefs des corps d’armée et les amiraux soutinrent passionnément leurs opinions diverses ; l’amiral Korniloff et plusieurs désiraient tenter la fortune d’une bataille navale, les autres voulaient couler les vaisseaux et les frégates afin d’employer le personnel et la puissante artillerie de ceux-ci aux défenses de la place même ou des forts.

Le dernier avis prévalut, on le sait. Et dans une ville déjà tout armée, cette détermination mit en ligne chez les Russes plus de vingt mille marins et deux mille canons de gros calibre.

Les alliés changèrent donc leur plan de campagne, puisque les flottes ne devaient plus aider à l’attaque, au moins quant à présent.

Après la bataille de l’Alma, le commandant en chef de l’armée russe organisa une défense formidable. Jour et nuit des milliers de travailleurs fortifiaient les tours, les forts, en construisaient de nouveaux. Les bouches inutiles furent renvoyées. Nous avions coupé les canaux qui apportaient à la ville les eaux des collines environnantes ; mais quantité de puits existaient à l’intérieur. Nous occupions le point de jonction de la route la plus directe entre Sébastopol, Simféropol et par conséquent Saint-Pétersbourg. Mais le prince Menschikoff s’assura l’autre route, celle qui contourne la presqu’île, car nous ne pûmes jamais songer à investir complètement Sébastopol. À Paris, on poursuivit cette idée tant que dura la guerre : « Investir la place attaquée et la livrer à ses seules ressources, puisque ses défenseurs avaient eux-mêmes condamné leur ravitaillement par mer. »

Trois généraux en chef se succédèrent en Crimée, tous trois jugèrent cet investissement impossible, et le maréchal Vaillant, alors ministre de la guerre, se rangea constamment à leur opinion.

L’armée russe resta donc en communication avec le centre de l’empire, dont elle recevait vivres et munitions. Des troupes arrivèrent sans cesse pour remplacer les morts et les malades, dont la quantité augmenta de jour en jour.

Pendant seize mois, les ressources, la fortune et la vie de la Russie se fondirent à Sébastopol, qui était le joyau le plus cher au tsar, la création de la grande Catherine, le port unique dans son genre, à l’extrémité méridionale de la Russie, où la nature avait créé elle-même cet emplacement merveilleux.

Au fond d’un bras de mer défendu par deux promontoires avancés,