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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

décidés à ne jamais rendre Sébastopol, mais à s’ensevelir plutôt sous ses décombres en détruisant la ville. Le second devait succomber avant la lutte suprême.

Un capitaine entre dans la salle du conseil, et, après avoir baisé les saintes images, s’adressant au prince Gortschakoff :

« Monseigneur, lui dit-il, le colonel Libsky vous adresse un transfuge français que j’ai conduit au palais avec des menottes aux mains et la tête couverte d’un sac épais.

— Fais-le entrer, » réplique le prince.

L’officier salue et disparaît. « Je hais ces choses, s’écrie alors l’amiral ; ici elles sont bien trop encouragées, voilà mon opinion.

— Amiral ! » réplique le commandant en chef, devenu très pâle et dont la voix tremble.

Mais, l’interrompant, Totleben reprend : « Ce sont les nécessités de la guerre, mon cher amiral, que nous déplorons autant que vous. Les ennemis emploient aussi nos transfuges. »

La discussion est arrêtée par le retour du capitaine précédant deux soldats et un individu dont le buste et la tête disparaissent dans un sac de toile bise.

Les soldats se retirent et le capitaine enlève le sac. Alors on voit un homme mal vêtu, en civil, et que les généraux et l’amiral Nakhimoff considèrent un instant. La physionomie inquiète et les yeux faux de cet homme ne prévenaient pas en sa faveur.

« Parles-tu français ? » dit le prince Gortschakoff en s’adressant au capitaine, qui répondit :

« Non, monseigneur, malheureusement.

— Très bien, » réplique le prince.

Jusqu’alors la conversation s’était tenue en russe ; elle continua en français.

« Comment t’appelles-tu ? demanda le commandant en chef à l’homme.

— Thomas Fontaine.

— Tu es soldat ? dans quel régiment ?

— Oui, mon général ; adjudant au 7e d’artillerie.

— Pourquoi trahis-tu ?

— Parce que, parce que…

— Réponds ou tu seras pendu ; ici on pend les traîtres et les espions s’ils ne servent pas la sainte Russie. Que sais-tu et quel secret as-tu à vendre ?

— Monseigneur, cela dépend du prix.

— Je crois que le misérable veut poser des conditions, s’écrie l’amiral en regardant Thomy d’un air d’indicible mépris.