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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Ferdinand dont les yeux brillaient, le courage, beaucoup en ont, tous, je pense…, mais cette présence d’esprit qui fait agir au moment et à l’endroit précis, n’est-ce pas le don le plus enviable ?

— Certainement, Résort, vous avez raison, répliqua M. de la Roncière ; la présence d’esprit et l’esprit d’initiative sont des qualités précieuses, comme la modestie qui fait rompre les chiens et louer les autres sans parler de soi-même. »

Alors le commandant du Roland se leva : « Avec l’autorisation de l’amiral, dit-il, je vous proposerai un toast, messieurs : À la France et à l’empereur, ensuite à nos marins et à nos camarades du siège, sans oublier les jeunes, ajouta-t-il en regardant Ferdinand.

— Certainement, le commandant de la Roncière a raison, reprit l’amiral : À la France, à l’empereur et à la jeune marine. »

Trois semaines après, les bâtiments amiraux français et anglais, il la tête des deux escadres en ligne de bataille et leurs pavillons en berne, saluaient la dépouille mortelle du feld-maréchal lord Raglan, foudroyé par une attaque de choléra.

Depuis le camp jusqu’à Balaklava où il fut embarqué, le cercueil du vieux général défila entre deux lignes de soldats anglais d’abord, français ensuite ; l’air national anglais l’accompagna jusqu’au rivage et à bord, aussi longtemps que le bâtiment qui l’emmenait en Angleterre se trouva à portée.

On n’entendit pas un coup de canon russe durant toute cette journée.

On a comparé la guerre de Crimée avec la guerre de Troie, d’abord en raison de sa longueur qui parut triple à notre impatience et à notre exagération française, et aussi à cause de la très grande proportion des officiers succombant sous la mitraille ennemie. Chaque affaire coûta la vie à plusieurs officiers généraux ou supérieurs, soit russes, soit de l’armée alliée. Des trois commandants en chef, deux moururent du choléra, et le prince Menschikoff, très malade, quitta le siège pour assister à l’agonie de son souverain.

Un autre point de comparaison, c’étaient les querelles entre les commandants ou chefs de corps.

… Depuis le 18 juin, presque toutes les nuits, les Russes tentaient des sorties partielles, toujours repoussées, mais qui affaiblissaient les assiégeants. Les bombes tombaient, grêle incessante, couvrant de morts tel ou tel point des tranchées, devenues un véritable ossuaire. Les troupes énervées recommençaient à demander l’assaut définitif. Toujours de sang-froid au fond, malgré ses colères contre tel ou tel, Pélissier restait résolu : il ne voulait livrer cet assaut qu’à son heure, avec tous les atouts dans son jeu.

Alors, et par l’effet d’une réaction naturelle à la faiblesse humaine,