Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/38

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figure décomposée, Mme de Résort regardait son mari debout sur le dernier échelon ; alors un aboiement formidable domina les autres bruits. « Wap, wap, » criait un chien, qu’on voyait courant, affolé, sur la dunette du Neptune.

« Ah ! papa, ah ! Frisette ! » s’écria Ferdinand perdant tout son courage. Et il répéta en sanglotant : « Frisette, papa ! Papa ! Frisette ! »

Après tout, Ferdinand était très jeune et ceux qui ont beaucoup aimé un animal quelconque ne blâmeront pas cet enfant pleurant son père qui partait et son chien qu’il abandonnait.

Frisette, une superbe caniche gris de fer, intelligente et spirituelle, avait été donnée à Ferdinand l’année précédente ; elle adorait son petit maître et au moins tout autant M. de Résort. Celui-ci dit un jour à sa femme :

« Si je ne pensais pas causer un gros chagrin à Ferdinand, je serais fort heureux d’emmener Frisette ; le commandant aime les chiens et celui-là me distrairait beaucoup.Vous savez que pour un second les distractions sont rares au milieu des croisières du Pacifique. »

Sur quoi la mère entreprit de prouver à son fils qu’il serait beau et louable de faire à papa ce petit sacrifice ; elle aussi aimait Frisette, mais où serait le mérite de donner ou d’offrir ce qu’on n’apprécie pas ?

Ferdinand comprit et ensuite il insista de si bonne grâce, avec de si jolies façons, que son père accepta, très reconnaissant et touché. Frisette fut donc embarquée.

Cependant les dernières embarcations du Neptune poussaient des jetées, emmenant les, derniers officiers en permission, les dernières malles et les dernières provisions. Une seule chaloupe restait encore à quai : c’était ce que l’on nomme la poste aux choux, grand canot dont on venait de remplir la chambre avec quantité d’objets : légumes frais, canards, poulets attachés par les pattes. Envoyés au marché dès l’aube, les cuisiniers et les maîtres d’hôtel, faute de place, revenaient juchés sur des paquets amarrés dans la chambre. Seul officier à bord de cette chaloupe, l’aspirant de corvée en faisait là une fort dure. Tirant sa montre à chaque minute, des gouttes de sueur au front, il pestait à mi-voix et de tout son cœur, parce que le cuisinier du commandant manquait à l’appel. Deux matelots avaient affirmé savoir dans quel cabaret trouver ce retardataire et les matelots expédiés à leur tour ne revenaient pas.

« Ces trois animaux vont-ils déserter à la dernière minute ? faut-il aller mettre les gendarmes à leurs trousses ? huit heures et demie ! et nous devions pousser à huit heures ! Ah ! Dieu merci, les voilà, déjà à moitié ivres, ma parole d’honneur, et s’essuyant les lèvres. » Alors essayant de prendre un air méchant qui n’allait guère à sa très jeune