Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/94

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« Es-tu fou ? » lui cria son père, pendant que Charlot obligeait ses chevaux à prendre le pas, puis à s’arrêter. Les bêtes résistèrent d’abord parce qu’elles sentaient l’écurie. « Mais comprenez-vous ce qu’il fait et où il va ? continua M. de Résort.

— Oui, répliqua Marine, il a dû apercevoir Thomas. »

En effet, Ferdinand courait à la rencontre de son vieil ami, auquel il serrait les deux mains. Et Thomas, tremblant d’émotion, répondait à l’étreinte du jeune aspirant.

« Comment allez-vous, Thomas ? Quel plaisir de vous rencontrer tout de suite ! »

Thomas répliqua : « Je restais au bord du fossé afin de vous voir venir, mais en roulant sans bruit sur l’herbe drue la voiture m’a surpris. Ah ! vous reconnaissez un autre ami, il est comme moi, il ne rajeunit pas. »

Non, celui-là ne rajeunissait pas, et en caressant Pastoures Ferdinand avait le cœur serré.

Pauvre vieux chien aveugle et sourd, propre et soigné quand même ! Il s’était traîné auprès de son ancien camarade de jeu qu’il flairait en poussant de petits cris, et tout en lui jusqu’à sa voix paraissait si faible, si cassé ! Alors, le prenant dans ses bras, Ferdinand embrassa l’animal de tout son cœur. Au même instant accourut un autre chien superbe, jeune, fort et joyeux. Ce dernier voulut aussi souhaiter la bienvenue à cet étranger que son instinct lui disait être un ami de la race canine ; mais le poil de Pastoures se hérissa et il montra le peu de dents qui lui restaient.

Thomas alors raconta à Ferdinand que « Pastoures n’aimait pas l’intrus auquel le troupeau obéissait à présent, tout en paraissant narguer le vieux chien, que ça humiliait bien ! Cependant Pastoures ne mordait jamais, mais il grognait l’autre et ne souffrait pas de le voir caresser en sa présence, et, ajouta le berger, c’est la jalousie, un sentiment naturel et commun aux bêtes comme aux hommes. Seulement les hommes doivent le combattre ! Mais voilà que je bavarde au lieu de vous renvoyer vers la voiture. Allons, bonsoir, monsieur Ferdinand ; à s’attarder dehors au soleil couchant, la dame et la petite fée pourraient prendre froid. J’irai demain vous visiter avec Pastoures, sans l’autre, et ça réjouira nos vieux cœurs de vous retrouver enfin dans la vieille maison. »

… Le manoir n’était pas changé, quoique les souvenirs de Ferdinand fissent la maison plus vaste. L’imagination des enfants est ainsi, elle amplifie tout. Mais l’harmonie des choses, l’ordre parfait, les fleurs à profusion, le jeune homme retrouvait ce qu’il avait aimé, dont il rêvait si souvent pendant les quarts et les heures joyeuses ou