Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/122

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de vingt personnes, en comptant la caissière, les garçons de table, le plongeur, le cuisinier, les marmitons et le flic du quartier. »

— « C’est dommage, fit remarquer le diable, que vos propres artistes n’aient pas, chez vous, le succès que ces m’as-tu vu remportent dans vos salles. Leclerc est un des rares chanceux dont les vôtres aient reconnu le talent. »

— « Oui, fis-je, mais seulement après que les Parisiens l’eussent découvert ! Du reste, tous nos artistes canadiens, dans tous les domaines, ont eu le même sort. C’est à l’étranger qu’on les reconnaît et qu’on les apprécie. Pensez à Pierrette Alarie, à Paul Simoneau, à Jobin, à Plamondon, à Dufresne, à Paul Dufault et à tant d’autres. »

— « À quoi cela tient-il ? demanda le diable, à l’incapacité de juger ou, peut-être, à la jalousie ? »

— « À la jalousie, oui ! fit mon oncle. Dans certains milieux, on ne sait pas se réjouir du succès des nôtres. Il y a, aussi, la stupidité et l’ignorance de nos snobs. »

— Je te donne raison, mon oncle, sur ce point-là. Je me souviens qu’un soir, j’avais invité un ami à venir à l’opéra. »

— « Vous deviez être riche alors, fit le diable en riant, pour vous payer ainsi deux places à l’opéra ! »

— « Pas du tout ! J’étais journaliste et, ce soir-là, je « couvrais » l’opéra ! D’où les deux billets de faveur. Or, l’ami accepta, un peu pour ne pas me faire de peine, en me disant d’un air inquiet : « C’est parfait, je t’accompagne. Mais, tu me le diras, quand ce sera beau. »

— « Après cela, fit mon oncle, tirons l’échelle ! »