Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/39

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vous dire que mon visiteur est membre de la Société des Poètes. »

— « Un poète ? Ça, c’est le restant des écus ! Encore un crève-faim qui n’a pas le sou ! »

— « Vous savez, monsieur Charron, dans ma province, écrire, c’est faire de la pauvreté perpétuelle. »

— « Bien des gens que j’ai transportés dans ma barque avaient fait vœu de pauvreté : celui d’appauvrir les autres, à leur propre bénéfice, et ils avaient roulé dans l’or durant leur vie… Et puis, au lieu de barbouiller du papier, vous auriez pu vous faire cabaleur d’élections, même si, dans votre province, c’est une profession déjà passablement encombrée. Aujourd’hui, vous ne seriez pas en peine de payer une pauvre petite obole de rien du tout ! Vous avez beau m’être fort sympathique, je suis obligé de vous faire payer ; c’est la consigne. »

— « Écoute, mon vieux Charron, fit mon compagnon. Laisse-le passer gratuitement, et tu exigeras deux oboles du prochain ministre qui montera dans ta barque. »

— « Exiger le double du passage à un ministre ? Vous avez la berlue, mon jeune messire le diable ! Vous ne savez donc pas que ces gens-là ne veulent jamais payer ; il leur en a assez coûté pour se faire élire. Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, il en est monté un dans ma barque. Savez-vous ce qu’il m’a offert ? Un billet à présenter au trésorier de la caisse électorale de son parti ! Ce billet m’aurait donné droit à une machine à laver et à un réfrigérateur électriques. L’imbécile ! il me traitait comme s’il se fut agi d’acheter mon vote ! »