Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/43

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temps à regarder en arrière et jamais en avant, la tête toujours dans le dos, pâmés de grande histoire et cuits dans le jus de nos sacro-saintes traditions. »

Il parlait avec un tel accent de conviction que je me rendis compte de la futilité de tenter de discuter avec lui. Je me mis à songer à tous les bonzes de chez nous, si respectés et si heureux dans leur incurable et sempiternel immobilisme.

Après avoir suivi pendant près de deux heures des méandres aussi tortueux que ceux d’une page de Georges ou de Roger Duhamel, notre barque s’arrêta au bord d’un petit quai flottant.

— « Enfin, nous sommes arrivés », fit mon compagnon qui, depuis quelque temps, n’avait pas ouvert la bouche. N’ayant rien à dire et n’étant pas député, il s’était contenté de se taire. Nous étions descendus, et Charron s’apprêtait à repartir, quand mon compagnon l’invita à venir se reposer à son chalet.

— « J’accepte sans me faire prier », s’empressa-t-il de répondre. « Vous, vous êtes un vrai bon diable, c’est le cas de le dire. Je m’en fous si mes damnés devront m’attendre demain matin ! Tenez je me sens aussi indépendant qu’un chauffeur de taxi de Montréal, quand il pleut depuis trois jours. D’ailleurs, sur le Styx, je n’ai pas de concurrents. Je suis comme la Murray Hill à l’aéroport de Dorval ; les gens sont entièrement à ma merci !… Seulement, j’y pense ! J’espère que monsieur le Canadien français ne s’objecte pas à ma compagnie. »

— « Rassurez-vous, dis-je au bonhomme. Je me plais énormément à vous entendre donner votre opinion sur tout. Franchement, à vous écouter, je