Page:Nau - Force ennemie.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

assez éloignée que j’ai fuie ce matin ? Oui ! je veux la voir, avant d’aller rejoindre dans « ce qui fut en toute propriété mon corps », l’exécrable Tkoukrien Kmôhoûn.

Irène sommeille dans la lumière d’or rose d’une petite lampe. Elle est redevenue belle, plus belle que jamais. Mlle Bouffard, assise à son chevet, ourle des serviettes et interrompt de temps à autre son travail pour relire une lettre écrite sur du papier assez sale mais orné d’une artistique chromolithographie représentant une colombe qui tient dans son bec un cœur cramoisi. Tout à coup elle soupire :

— Ce rigolo de Paplorey ! (c’est un gardien). Il en dit, des « cochoncetés » ! Mais quel beau garçon ! Et c’est tendre, au fond, sa petite tartine au poivre. Il a la pudeur de sa « sensébilité ».

Irène veillée par cette grosse gourgandine !

Mais elle dort, ignorante du malpropre sentimentalisme de sa gardienne comme de la journée que vient de passer sa pauvre bonne femme de mère emprisonnée comme elle et dans la même maison.

Les êtres désincarnés peuvent-ils donner un baiser ? Je crois qu’il est permis de répondre : oui, si grotesquement invraisemblable que cela puisse paraître, car il me semble me griser des parfums de toutes les fleurs sur SA joue pâlement rose dont je sens la ferme douceur et le velouté. Je reste longtemps, longtemps, à me délecter de cette caresse qu’elle ne peut deviner (même éveillée la soupçonnerait-elle ?) et j’oublie et mon corps abandonné et