Page:Nau - Force ennemie.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cherchant ses mots, s’arrêtant court au milieu d’une phrase. Suivant l’expression des « bonnes femmes » il « n’a pas la tête » à ce qu’il me dit. Bientôt il se fatigue de dissimuler :

— Mon petit Philippe, je ne vais pas tourner, comme cela, deux heures autour du pot. Je te crois tout à fait… rétabli, si tu as jamais été ce que les gens de Vassetot et ces canailles de Roffieux voulaient que tu fusses. Mais il s’est passé quelque chose en toi, entre le moment de ton entrée dans mon bureau et la fin du déjeuner. Avais-tu bu avant de venir et l’effet de l’alcool ne s’est-il produit, comme il arrive parfois, qu’un assez long temps après l’ingestion d’un ou plutôt de quelques vénéneux apéritifs ? Quand tu as fait ton apparition, tu semblais bien dans ton assiette, mais, à table, je retrouvais en toi le petit garçon de douze ans qui ne voulait pas aller dîner chez la cousine Pigeon parce que cette vénérable mais funèbre parente le fourrait toujours entre deux moines bizarres et inquiétants dont il avait une peur bleue. Lorsqu’on l’avait amené par le collet chez l’affligeante vieille dame, le Philippe d’alors devenait gâteux pour toute la durée du repas. On ne lui arrachait pas un mot qui ne fût une stupidité et sa tenue était lamentable. Une fois on le surprit occupé à se laver les doigts dans sa tasse de café, quelques minutes après avoir énergiquement repoussé le bol-rince-bouche dont on l’avait gratifié selon l’usage de ces temps gothiques, — après avoir