Page:Nerval - Aurélia, Lachenal & Ritter, 1985.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

m’était apparue souvent, ne revenait plus dans mes songes. Je n’eus d’abord que des rêves confus, mêlés de scènes sanglantes. Il semblait que toute une race fatale se fût déchaînée au milieu du monde idéal que j’avais vu autrefois et dont elle était la reine. Le même Esprit qui m’avait menacé, — lorsque j’entrai dans la demeure de ces familles pures qui habitaient les hauteurs de la Ville mystérieuse, — passa devant moi, non plus dans ce costume blanc qu’il portait jadis, ainsi que ceux de sa race, mais vêtu en prince d’Orient. Je m’élançai vers lui, le menaçant, mais il se tourna tranquillement vers moi. Ô terreur ! ô colère ! c’était mon visage, c’était toute ma forme idéalisée et grandie… Alors, je me souvins de celui qui avait été arrêté la même nuit que moi et que, selon ma pensée, on avait fait sortir sous mon nom du corps de garde, lorsque deux amis étaient venus pour me chercher. Il portait à la main une arme dont je distinguais mal la forme, et l’un de ceux qui l’accompagnaient dit : « C’est avec cela qu’il l’a frappé. »

Je ne sais comment expliquer que, dans mes idées, les événements terrestres pouvaient coïncider avec ceux du monde surnaturel, cela est plus facile à sentir qu’à énoncer clairement[1]. Mais quel était

  1. Cela faisait allusion, pour moi, au coup que j’avais reçu dans ma chute.