Page:Nerval - Choix des poésies de Ronsard, 1830.djvu/319

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Portrait de la disgrâce et de la défaveur ;
Fuis, sans avoir du bien, troublé de resverie,
Mourir dessus un coffre en une hostellerie,
En Toscane, en Savoie, ou dans quelque autre lieu,
Sans pouvoir faire paix ou tresve avecque Dieu ?
Sans parler je t’entends : il faut suivre l’orage ;
Aussi bien on ne peut où choisir avantage.
Nous vivons à tastons, et dans ce monde ici
Souvent avecq’ travail on poursuit du souci :
Car les dieux, courroucez contre la race humaine,
Ont mis avecq’ les biens la sueur et la peine.
Le monde est un brelan où tout est confondu.
Tel pense avoir gaigné, qui souvent a perdu ;
Ainsi qu’en une blanque où par hazard on tire ;
Et qui voudroit choisir souvent prendroit le pire :
Tout despend du destin, qui, sans avoir égard,
Les faveurs et les biens en ce monde despart.

Mais puisqu’il est ainsi que le sort nous emporte,
Qui voudroit se bander contre une loi si forte ?
Suivons doncq’ sa conduite en cet aveuglement ;
Qui pèche avecq’ le ciel, pèche honorablement ;
Car penser s’affranchir, c’est une resverie :
La liberté, par songe en la terre est chérie.
Rien n’est libre en ce monde ; et chaque homme dépend,
Comtes, princes, sultans, de quelque autre plus grand.
Tous les hommes vivants sont ici bas esclaves ;