Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait plus si vivement avec les trilles du rossignol. Tout le monde était pâle, et dans les groupes dégarnis j’eus peine à rencontrer des figures connues. Enfin j’aperçus la grande Lise, une amie de Sylvie. Elle m’embrassa.

— Il y a longtemps qu’on ne t’a vu, Parisien ! dit-elle.

— Oh ! oui, longtemps.

— Et tu arrives à cette heure-ci ?

— Par la poste.

— Et pas trop vite !

— Je voulais voir Sylvie ; est-elle encore au bal ?

— Elle ne sort qu’au matin ; elle aime tant à danser.

En un instant, j’étais à ses côtés. Sa figure était fatiguée ; cependant son œil noir brillait toujours du sourire athénien d’autrefois. Un jeune homme se tenait près d’elle. Elle lui fit signe qu’elle renonçait à la contredanse suivante. Il se retira en saluant.

Le jour commençait à se faire. Nous sortîmes du bal, nous tenant par la main. Les fleurs de la chevelure de Sylvie se penchaient dans ses cheveux dénoués ; le bouquet de son corsage s’effeuillait aussi sur les dentelles fripées, savant ouvrage de sa main. Je lui offris de l’accompagner chez elle. Il faisait grand jour, mais le temps était sombre. La Thève bruissait à notre gauche, laissant à ses coudes des remous d’eau stagnante où s’épanouissaient les nénuphars jaunes et blancs, où éclatait comme des pâquerettes la frêle broderie des étoiles d’eau. Les plaines étaient couvertes de javelles et de meules de foin, dont l’odeur me portait à la tête sans m’enivrer, comme faisait autrefois la fraîche senteur des bois et des halliers d’épines fleuries.

Nous n’eûmes pas l’idée de les traverser de nouveau.

— Sylvie, lui dis-je, vous ne m’aimez plus !  

Elle soupira.

— Mon ami, me dit-elle, il faut se faire une raison ; les choses ne vont pas comme nous voulons dans la vie. Vous m’avez parlé autrefois de La Nouvelle Héloise, je l’ai lue, et j’ai