Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/133

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ma stalle accoutumée ; Aurélie répandit son inspiration et son charme sur des vers faiblement inspirés de Schiller, que l’on devait à un talent de l’époque. Dans la scène du jardin, elle devint sublime. Pendant le quatrième acte, où elle ne paraissait pas, j’allai acheter un bouquet chez madame Prévost. J’y insérai une lettre fort tendre signée un Inconnu.

Je me dis :

— Voilà quelque chose de fixé pour l’avenir.

Et, le lendemain, j’étais sur la route d’Allemagne.

Qu’allais-je y faire ? Essayer de remettre de l’ordre dans mes sentiments. — Si j’écrivais un roman, jamais je ne pourrais faire accepter l’histoire d’un cœur épris de deux amours simultanées. Sylvie m’échappait par ma faute ; mais la revoir un jour avait suffi pour relever mon âme : je la plaçais désormais comme une statue souriante dans le temple de la Sagesse. Son regard m’avait arrêté au bord de l’abîme. Je repoussais avec plus de force encore l’idée d’aller me présenter à Aurélie, pour lutter un instant avec tant d’amoureux vulgaires qui brillaient un instant près d’elle et retombaient brisés.

— Nous verrons quelque jour, me dis-je, si cette femme a un cœur.

Un matin, je lus dans un journal qu’Aurélie était malade. Je lui écrivis des montagnes de Salzbourg. La lettre était si empreinte de mysticisme germanique que je n’en devais pas attendre un grand succès, mais aussi je ne demandais pas de réponse. Je comptais un peu sur le hasard et sur — l’inconnu.

Des mois se passent. À travers mes courses et mes loisirs, j’avais entrepris de fixer dans une action poétique les amours du peintre Colonna pour la belle Laura, que ses parents firent religieuse, et qu’il aima jusqu’à la mort. Quelque chose dans ce sujet se rapportait à mes préoccupations constantes. Le dernier vers du drame écrit, je ne songeai plus qu’à revenir en France.

Que dire maintenant qui ne soit l’histoire de tant d’autres ? J’ai passé par tous les cercles de ces lieux d’épreuves qu’on