Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/181

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une fois déjà, que j’ai peut-être été trop loin dans ma délicatesse, et que vous avez pu me croire refroidi. Eh bien, j’ai respecté un jour important pour vous, j’ai contenu des émotions à briser l’âme, et je me suis couvert d’un masque souriant, moi dont le cœur haletait et brûlait. D’autres n’auront pas eu tant de ménagement, mais aussi nul ne vous a peut-être prouvé tant d’affection vraie, et n’a si bien senti tout ce que vous valez.

« Parlons franchement : je sais qu’il est des liens qu’une femme ne peut briser qu’avec peine, des relations incommodes qu’on ne peut rompre que lentement. Vous ai-je demandé de trop pénibles sacrifices ? Dites-moi vos chagrins, je les comprendrai. Vos craintes, votre fantaisie, les nécessités de votre position, rien de tout cela ne peut ébranler l’immense affection que je vous porte, ni troubler même la pureté de mon amour. Mais nous verrons ensemble ce qu’on peut admettre ou combattre, et s’il était des nœuds qu’il fallût trancher et non dénouer, reposez-vous sur moi de ce soin. Manquer de franchise en ce moment serait de l’inhumanité peut-être ; car, je vous l’ai dit, ma vie ne tient à rien qu’à votre volonté, et vous savez bien que ma plus grande envie ne peut être que de mourir pour vous !

« Mourir, grand Dieu ! pourquoi cette idée me revient-elle à tout propos, comme s’il n’y avait que ma mort qui fût l’équivalent du bonheur que vous promettez ? La mort ? ce mot ne répand cependant rien de sombre dans ma pensée. Elle m’apparaît couronnée de roses pâles, comme à la fin d’un festin ; j’ai rêvé quelquefois qu’elle m’attendait en souriant au chevet d’une femme adorée, après le bonheur, après l’ivresse, et qu’elle me disait :

« — Allons, jeune homme ! tu as eu toute ta part de joie en ce monde. À présent, viens dormir, viens te reposer dans mes bras. Je ne suis pas belle, moi, mais je suis bonne et secourable, et je ne donne pas le plaisir, mais le calme éternel.

« Mais où donc cette image s’est-elle déjà offerte à moi ? Ah !