Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/183

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« Et je lui dis :

« — Ne parlez pas, je puis à peine vous comprendre ; l’italien me fatigue à écouter et à prononcer.

« — Oh ! dit-elle, je sais encore parler autrement.

« Et elle parla tout à coup dans une langue que je n’avais pas encore entendue. C’était des syllabes sonores, gutturales, des gazouillements pleins de charme, une langue primitive sans doute ; de l’hébreu, du syriaque, je ne sais. Elle sourit de mon étonnement, et s’en alla à sa commode, d’où elle tira des ornements de fausses pierres, colliers, bracelets, couronne ; s’étant parée ainsi, elle revint à table, puis resta sérieuse fort longtemps. La vieille, en rentrant, poussa de grands éclats de rire et me dit, je crois, que c’était ainsi qu’on la voyait aux fêtes. En ce moment, l’enfant se réveilla et se prit à crier. Les deux femmes coururent à son berceau, et bientôt la jeune revint près de moi tenant fièrement dans ses bras le bambino soudainement apaisé.

« Elle lui parlait dans cette langue que j’avais admirée, elle l’occupait avec des agaceries pleines de grâce ; et moi, peu accoutumé à l’effet des vins brûlés du Vésuve, je sentais tourner les objets devant mes yeux : cette femme, aux manières étranges, royalement parée, fière et capricieuse, m’apparaissait comme une de ces magiciennes de Thessalie à qui l’on donnait son âme pour un rêve. Oh ! pourquoi n’ai-je pas craint de vous faire ce récit ? C’est que vous savez bien que ce n’était aussi qu’un rêve, où seule vous avez régné !

« Je m’arrachai à ce fantôme qui me séduisait et m’effrayait à la fois ; j’errai dans la ville déserte jusqu’au son des premières cloches ; puis, sentant le matin, je pris par les petites rues derrière Chiaïa, et je me mis a gravir le Pausilippe au-dessus de la grotte. Arrivé tout en haut, je me promenais en regardant la mer déjà bleue, la ville où l’on n’entendait encore que les bruits du matin, et les îles de la baie, où le soleil commençait à dorer le haut des villas. Je n’étais pas attristé le moins du monde ; je marchais à grands pas, je courais, je descendais les pentes, je me roulais