Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/246

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d’aussi loin qu’il l’aperçut, elle lui parut très-calme, le coude appuyé sur un rouleau de marchandises, et fort attentive à la conversation animée et bruyante d’un beau militaire, penché sur le même rouleau, et qui n’avait pas plus l’air d’un chaland que de toute chose que l’on pût s’imaginer.

— C’est mon futur ! dit Javotte en souriant à l’inconnu qui fit un léger mouvement de tête sans changer de situation.

Seulement, il toisait le commis de bas en haut, avec ce dédain que les militaires témoignent pour les personnes de l’état bourgeois dont l’extérieur est peu imposant.

— Il a un faux air d’un trompette de chez nous, observa-t-il gravement ; seulement, l’autre a plus de corporance dans les jambes ; mais tu sais, Javotte, le trompette, dans un escadron, c’est un peu moins qu’un cheval et un peu plus qu’un chien…

— Voici mon neveu, dit Javotte à Eustache, en ouvrant sur lui ses grands yeux bleus avec un sourire de parfaite satisfaction ; il a obtenu un congé pour venir à notre noce. Comme cela se trouve bien, n’est-ce pas ? Il est arquebusier à cheval… Oh ! le beau corps ! Si vous étiez vêtu comme cela, Eustache !… mais vous n’êtes pas assez grand, vous, ni assez fort…

— Et combien de temps, dit timidement le jeune homme, monsieur nous fera-t-il cet avantage de demeurer à Paris ?

— Cela dépend, dit le militaire en se redressant, après avoir fait attendre un peu sa réponse. On nous a envoyés dans le Berri pour exterminer les croquants ; et, s’ils veulent rester tranquilles quelque temps encore, je vous donnerai un bon mois ; mais, de toutes façons, à la Saint-Martin, nous viendrons à Paris remplacer le régiment de M. d’Humières, et alors le pourrai vous voir tous les jours et indéfiniment.

Eustache examinait l’arquebusier à cheval, tant qu’il pouvait le faire sans rencontrer ses regards et, décidément, il le trouvait hors de toutes les proportions physiques qui conviennent à un neveu.

— Quand je dis tous les jours, reprit ce dernier, je me trompe ; car il y a, le jeudi, la grande parade… Mais nous