Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/277

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qu’un prolongement du coccyx, mais qui peu à peu prenait les airs d’une véritable queue.

On alla consulter les savants qui déclarèrent qu’il était impossible d’en opérer l’extirpation sans compromettre la vie de l’enfant. Ils ajoutèrent que c’était un cas assez rare, mais dont on trouvait des exemples cités dans Hérodote, et dans Pline le Jeune. On ne prévoyait pas alors le système de Fourier.

Pour ce qui était de la couleur, on l’attribua à une prédominance du système bilieux. Cependant on essaya de plusieurs caustiques pour atténuer la nuance trop prononcée de l’épiderme, et l’on arriva, après une foule de lotions et frictions, à l’amener tantôt au vert-bouteille, puis au vert d’eau, et enfin au vert-pomme. Un instant, la peau sembla tout à fait blanchir ; mais le soir elle reprit sa teinte.

Le sergent et la couturière ne pouvaient se consoler des chagrins que leur donnait ce petit monstre, qui devenait de plus en plus têtu, colère et malicieux.

La mélancolie qu’ils éprouvèrent les conduisit à un vice trop commun parmi les gens de leur sorte. Ils s’adonnèrent à la boisson.

Seulement le sergent ne voulait jamais boire que du vin cacheté de rouge, et sa femme que du vin cacheté de vert.

Chaque fois que le sergent était ivre-mort, il voyait dans son sommeil la femme sanglante dont l’apparition l’avait épouvanté dans la cave, après qu’il eut brisé la bouteille.

Cette femme lui disait :

— Pourquoi m’as-tu pressée sur ton cœur, et ensuite immolée… moi qui t’aimais tant ?

Chaque fois que l’épouse du sergent avait trop fêté le cachet vert, elle voyait dans son sommeil apparaître un grand diable, d’un aspect épouvantable, qui lui disait :

— Pourquoi t’étonner de me voir… puisque tu as bu de la bouteille ?… Ne suis-je pas le père de ton enfant ?…

Ô mystère !