Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/310

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littérature classique, quand nous pouvions fort bien nous en passer, et surtout de nous l’avoir imposée si exclusive, si dédaigneuse de tout le passé qui était à nous ; mais, à considérer ses travaux et ses innovations, sous un autre point de vue, celui des progrès du style et de la couleur poétique, il faut avouer que nous lui devons beaucoup de reconnaissance ; il faut avouer que, dans tous les genres qui ne demandent pas une grande force de création, dans tous les genres de poésie gracieuse et légère, elle a surpassé et les poëtes qui l’avaient précédée, et beaucoup de ceux qui l’ont suivie. Dans ces sortes de compositions aussi, l’imitation classique est moins sensible : les petites odes de Ronsard, par exemple, semblent la plupart inspirées, plutôt par les chansons du xiie siècle, qu’elles surpassent souvent encore en naïveté et en fraîcheur ; ses sonnets aussi, et quelques-unes de ses élégies sont empreints du véritable sentiment poétique, si rare quoi qu’on dise, que tout le xviiie siècle, si riche qu’il soit en poésies diverses, semble en être absolument dénué.

Mais, pour faire sentir les immenses progrès que Ronsard a fait faire à la langue poétique, si pâle jusqu’à lui dans les genres sérieux, il est bon de donner une idée de ce qu’elle était au moment qu’il l’a prise. Pour cela, je transcris au hasard le début d’un poëme publié la même année que ses odes pindariques, et par un des auteurs les plus estimés du temps.
(Pandore, par Guillaume de Tours.)


Ô dieu Phœbus, des saints poëtes père,
Du grand tonnant la lignée tant clère,
Qui sus ton chef à perruque dorée
Portes les fleurs de Daphnes transmuée
Dans un laurier toujours verd qu’on blasonne,
Car tu t’en ceints, et en fais ta couronne.
Viens, viens à nous, viens ici en la guise
Qu’en Hélicon, haute montagne sise
Très-hautement les doctes sœurs enseignes
Là des pieds nus dansantes aux enseignes
De leur gaîté, tout autour des autiers