Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/35

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monotone, réglée par l’étiquette et les cérémonies hiératiques, pesait à tous sans que personne osât s’y soustraire. Les vieillards languissaient sous le poids de leurs couronnes et de leurs ornements impériaux, entre des médecins et des prêtres, dont le savoir leur garantissait l’immortalité. Quant au peuple, à tout jamais engrené dans les divisions des castes, il ne pouvait compter ni sur la vie, ni sur la liberté. Au pied des arbres frappés de mort et de stérilité, aux bouches des sources taries, on voyait sur l’herbe brûlée se flétrir des enfants et des jeunes femmes énervés et sans couleur. La splendeur des chambres royales, la majesté des portiques, l’éclat des vêtements et des parures, n’étaient qu’une faible consolation aux ennuis éternels de ces solitudes.

Bientôt les peuples furent décimés par des maladies, les bêtes et les plantes moururent et les immortels eux-mêmes dépérissaient sous leurs habits pompeux. — Un fléau plus grand que les autres vint tout à coup rajeunir et sauver le monde. La constellation d’Orion ouvrit au ciel les cataractes des eaux ; la terre, trop chargée par les glaces du pôle opposé, fit un demi-tour sur elle-même, et les mers, surmontant leurs rivages, refluèrent sur les plateaux de l’Afrique et de l’Asie ; l’inondation pénétra les sables, remplit les tombeaux et les pyramides, et, pendant quarante jours, une arche mystérieuse se promena sur les mers portant l’espoir d’une création nouvelle.

Trois des Éloïm s’étaient réfugiés sur la cime la plus haute des montagnes d’Afrique. Un combat se livra entre eux. Ici, ma mémoire se trouble et je ne sais quel fut le résultat de cette lutte suprême. Seulement, je vois encore, sur un pic baigné des eaux, une femme abandonnée par eux, qui crie les cheveux épars, se débattant contre la mort. Ses accents plaintifs dominaient le bruit des eaux… Fut-elle sauvée ? Je l’ignore. Les dieux, ses frères, l’avaient condamnée ; mais au-dessus de sa tête brillait l’Étoile du soir qui versait sur son front des rayons enflammés.