Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/51

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— Elle est perdue !

Une nuit profonde m’entourait, la maison lointaine brillait comme éclairée pour une fête et pleine d’hôtes arrivés à temps.

— Elle est perdue ! m’écriai-je, et pourquoi ?… Je comprends : elle a fait un dernier effort pour me sauver ; j’ai manqué le moment suprême où le pardon était possible encore. Du haut du ciel, elle pouvait prier pour moi l’Époux divin… Et qu’importe mon salut même ? L’abîme a reçu sa proie ! Elle est perdue pour moi et pour tous ! »

Il me semblait la voir comme à la lueur d’un éclair, pâle et mourante, entraînée par de sombres cavaliers…

Le cri de douleur et de rage que je poussai en ce moment me réveilla tout haletant.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! pour elle et pour elle seule ! Mon Dieu, pardonnez ! m’écriai-je en me jetant à genoux.

Il faisait jour. Par un mouvement dont il m’est difficile de rendre compte, je résolus aussitôt de détruire les deux papiers que j’avais tirés la veille du coffret : la lettre, hélas ! que je relus en la mouillant de larmes, et le papier funèbre qui portait le cachet du cimetière.

— Retrouver sa tombe maintenant ? me disais-je, mais c’est hier qu’il fallait y retourner, — et mon rêve fatal n’est que le reflet de ma fatale journée !

III

La flamme a dévoré ces reliques d’amour et de mort, qui se renouaient aux fibres les plus douloureuses de mon cœur. Je suis allé promener mes peines et mes remords tardifs dans la campagne, cherchant dans la marche et dans la fatigue, l’engourdissement de la pensée, la certitude peut-être pour la nuit suivante d’un sommeil moins funeste. Avec cette idée que je m’étais faite du rêve comme ouvrant à l’homme une commu-