Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et elle entra dans la maison.

Cette nuit, mon rêve s’est transporté d’abord à Vienne. — On sait que sur chacune des places de cette ville sont élevées de grandes colonnes qu’on appelle pardons. Des nuages de marbre s’accumulent en figurant l’ordre salomonique et supportent des globes où président assises des divinités. Tout à coup, ô merveille ! je me mis à songer à cette auguste sœur de l’empereur de Russie, dont j’ai vu le palais impérial à Weimar. — Une mélancolie pleine de douceur me fit voir les brumes colorées d’un paysage de Norvège éclairé d’un jour gris et doux. Les nuages devinrent transparents, et je vis se creuser devant moi un abîme profond où s’engouffraient tumultueusement les flots de la Baltique glacée. Il semblait que le fleuve entier de la Néva, aux eaux bleues, dût s’engloutir dans cette fissure du globe. Les vaisseaux de Cronstadt et de Saint-Pétersbourg s’agitaient sur leurs ancres, prêts à se détacher et à disparaître dans le gouffre, quand une lumière divine éclaira d’en haut cette scène de désolation.

Sous le vif rayon qui perçait la brume, je vis apparaître aussitôt le rocher qui supporte la statue de Pierre le Grand. Au-dessus de ce solide piédestal vinrent se grouper des nuages qui s’élevaient jusqu’au zénith. Ils étaient chargés de figures radieuses et divines, parmi lesquelles on distinguait les deux Catherine et l’impératrice sainte Hélène, accompagnées des plus belles princesses de Moscovie et de Pologne. Leurs doux regards, dirigés vers la France, rapprochaient l’espace au moyen de longs télescopes de cristal. Je vis par là que notre patrie devenait l’arbitre de la querelle orientale, et qu’elles en attendaient la solution. Mon rêve se termina par le doux espoir que la paix nous serait enfin donnée.

C’est ainsi que je m’encourageais à une audacieuse tentative. Je résolus de fixer le rêve et d’en connaître le secret.

— Pourquoi, me dis-je, ne point enfin forcer ces portes mystiques, armé de toute ma volonté, et dominer mes sensations an lien de les subir ? N’est-il pas possible de dompter cette chi-