Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/219

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bords de l’Ohio, et ne tarda pas à voir les charmantes hauteurs qui cachaient son heureux chez elle sortir du bleu vaporeux qui les enveloppait. Elle double le pas ; la voilà sur les premiers coteaux. Pour la première fois, son cœur battit plus fort ; un instant arrêtée au souvenir du grand cheval, elle reprit sa course et s’élança dans les sinuosités boisées du coteau. Voilà bien devant elle le magnifique Ohio, poursuivant son cours en deux larges bras ; puis les eaux de l’Alleghany, limpides comme la source qui jaillit d’un roc ; puis enfin, tout à côté, celles du Monongehala, troubles et bourbeuses, et offrant assez bien l’image d’un mari grognon auquel est enchaînée une vive et douce compagne. La voilà arrivée à la dernière éminence, d’où l’on peut contempler toutes ses possessions : voici le magnifique vallon, le plus fertile des bottoms, enclavé parmi les promontoires de montagnes ; voilà la grange bâtie en pierre, le toit et les persiennes reluisant de l’éclat d’une fraîche peinture. Là, à main gauche, le vieux verger, puis, à droite, le nouveau, à la plantation duquel elle avait aidé, et dont les arbres pliaient déjà sous le poids des fruits. Elle regardait, elle n’osait s’en fier à ses yeux, et elle voyait plus encore... Non, ce n’était pas une illusion, c’était son cher Toffel qui sortait justement de la maison, et derrière lui, un petit bambin aux cheveux blonds, qui le tenait ferme aux basques de son habit. Oui, c’était bien Toffel dans sa culotte de peau, avec ses bas bleus à coins rouges et ses souliers ornés de boucles énormes. Elle n’y tint pas plus longtemps, descendit d’un pas ferme du coteau, et, ayant traversé rapidement le potager, elle se trouva tout à coup devant Toffel.

— Tous les bons esprits louent le Seigneur ! s’écria celui-