Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et de m’imaginer que cette femme, dont je comprenais à peine le langage, était vous-même, descendue à moi par enchantement. Pourquoi vous tairais-je toute cette aventure et la bizarre illusion que mon âme accepta sans peine, surtout après quelques verres de lacrimacristi mousseux qui me furent versés au souper ? La chambre où j’étais entré avait quelque chose de mystique par le hasard ou par le choix singulier des objets qu’elle renfermait. Une madone noire couverte d’oripeaux, et dont mon hôtesse était chargée de rajeunir l’antique parure, figurait sur une commode près d’un lit aux rideaux de serge verte ; une figure de sainte Rosalie, couronnée de roses violettes, semblait plus loin protéger le berceau d’un enfant endormi ; les murs, blanchis à la chaux, étaient décorés de vieux tableaux des quatre éléments représentant des divinités mythologiques. Ajoutez à cela un beau désordre d’étoffes brillantes, de fleurs artificielles, de vases étrusques ; des miroirs entourés de clinquant qui reflétaient vivement la lueur de l’unique lampe de cuivre, et sur une table un Traité de la divination et des songes qui me fit penser que ma compagne était un peu sorcière ou bohémienne pour le moins.

« Une bonne vieille aux grands traits solennels allait, venait, nous servant, je crois que ce devait être sa mère ! Et moi, tout pensif, je ne cessais de regarder sans dire un mot celle qui me rappelait si exactement votre souvenir.

« Cette femme me répétait à tout moment : — Vous êtes triste ? » Et je lui dis : — Ne parlez pas, je puis à peine vous comprendre ; l’italien me fatigue à écouter et à prononcer. — Oh ! dit-elle, je sais encore parler autrement. — Et elle parla tout à coup dans une langue que je n’avais