Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/242

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En revenant, frappé de la grandeur des idées que nous venions de soulever, je n’osai lui parler d’amour… Elle me vit si froid qu’elle m’en fit reproche. Alors je lui avouai que je ne me sentais plus digne d’elle. Je lui contai le mystère de cette apparition qui avait réveillé un ancien amour dans mon cœur, et toute la tristesse qui avait succédé à cette nuit fatale où le fantôme du bonheur n’avait été que le reproche d’un parjure.

Hélas ! que tout cela est loin de nous ! Il y a dix ans, je repassais à Naples, venant d’Orient. J’allai descendre à l’hôtel de Rome, et j’y retrouvai la jeune Anglaise. Elle avait épousé un peintre célèbre qui, peu de temps après son mariage, avait été pris d’une paralysie complète ; couché sur un lit de repos, il n’avait rien de mobile dans le visage que deux grands yeux noirs, et jeune encore il ne pouvait même espérer la guérison sous d’autres climats. La pauvre fille avait dévoué son existence à vivre tristement entre son époux et son père, et sa douceur, sa candeur de vierge ne pouvaient réussir à calmer l’atroce jalousie qui couvait dans l’âme du premier. Rien ne put jamais l’engager à laisser sa femme libre dans ses promenades, et il me rappelait ce géant noir qui veille éternellement dans la caverne des génies, et que sa femme est forcée de battre pour l’empêcher de se livrer au sommeil. O mystère de l’âme humaine ! Faut-il voir dans un tel tableau les marques cruelles de la vengeance des dieux !

Je ne pus donner qu’un jour au spectacle de cette douleur. Le bateau qui me ramenait à Marseille emporta comme un rêve le souvenir de cette apparition chérie, et je me dis que peut-être j’avais laissé là le bonheur. Octavie en a gardé près d’elle le secret.