Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/293

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tait très affligé de sa dernière blessure, celle qui l’avait si fort défiguré ; et peut-être a-t-il surpris quelque grimace ou quelque raillerie de sa nouvelle épouse ; les philosophes sont susceptibles. En tous cas, il est mort et volontairement.

— Volontairement, puisque vous y persistez ; mais n’appelez pas suicide la mort qu’on trouve dans une bataille ; vous ajouteriez un contre-sens de mots à celui que peut-être vous faites en pensée ; on meurt dans une mêlée parce qu’on y rencontre quelque chose qui tue ; ne meurt pas qui veut.

— Eh bien ! voulez-vous que ce soit la fatalité ?

— A mon tour, interrompit l’abbé, qui s’était recueilli pendant cette discussion : il vous semblera singulier peut-être que je combatte vos paradoxes ou vos suppositions…

— Eh bien ! parlez, parlez ; vous en savez plus que nous, assurément. Vous habitez Bitche depuis longtemps ; on dit que Desroches vous connaissait, et peut-être même s’est-il confessé à vous…

— En ce cas, je devrais me taire ; mais il n’en fut rien malheureusement, et toutefois la mort de Desroches fut chrétienne, croyez-moi ; et je vais vous en raconter les causes et les circonstances, afin que vous emportiez cette idée que ce fut là encore un honnête homme ainsi qu’un bon soldat, mort à temps pour l’humanité, pour lui-même, et selon les desseins de Dieu.

Desroches était entré dans un régiment à quatorze ans, à l’époque où la plupart des hommes s’étant fait tuer sur la frontière, notre armée républicaine se recrutait parmi les enfants. Faible de corps, mince comme une jeune fille, et pâle, ses camarades souffraient de lui voir porter un fusil