Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/297

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protecteur, et il trouva dessous une cicatrice un peu rose encore, mais qui n’avait rien de trop repoussant. En poursuivant cette observation, il reconnut que les différentes parties de son visage s’étaient recousues convenablement entre elles, et que l’oeil demeurait fort limpide et fort sain. Il manquait bien quelques brins du sourcil, mais c’était si peu de chose ! cette raie oblique qui descendait du front à l’oreille en traversant la joue, c’était… Eh bien ! c’était un coup de sabre reçu à l’attaque des lignes de Bergheim, et rien n’est plus beau, les chansons l’ont assez dit.

Donc, Desroches fut étonné de se retrouver si présentable après la longue absence qu’il avait faite de lui-même. Il ramena fort adroitement ses cheveux qui grisonnaient du côté blessé, sous les cheveux noirs abondants du côté gauche, étendit sa moustache sur la ligne de la cicatrice, le plus loin possible, et ayant endossé son uniforme neuf, il se rendit le lendemain à l’esplanade d’un air assez triomphant.

Dans le fait, il s’était si bien redressé, si bien tourné, son épée avait si bonne grâce à battre sa cuisse, et il portait le schako si martialement incliné en avant, que personne ne le reconnut dans le trajet de l’hôpital au jardin ; il arriva le premier au banc des tilleuls, et s’assit comme à l’ordinaire, en apparence, mais au fond bien plus troublé et bien plus pâle, malgré l’approbation du miroir.

Les deux dames ne tardèrent pas à arriver ; mais elles s’éloignèrent tout à coup en voyant un bel officier occuper leur place habituelle. Desroches fut tout ému.

— Eh quoi ! leur cria-t-il, vous ne me reconnaissez pas ?…