Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cesse ; le cavalier, par exemple, frappe réellement…

— Aussi, reprit Desroches, de même que l’on n’oublie pas le dernier regard d’un adversaire tué en duel, son dernier râle, le bruit de sa lourde chute, de même, je porte en moi presque comme un remords, riez-en si vous pouvez, l’image pâle et funèbre du sergent prussien que j’ai tué dans la petite poudrière du fort.

Tout le monde fit silence, et Desroches commença son récit.

— C’était la nuit, je travaillais, comme je l’ai expliqué tout à l’heure. A deux heures tout doit dormir, excepté les sentinelles. Les patrouilles sont fort silencieuses, et tout bruit fait esclandre. Pourtant je crus entendre comme un mouvement prolongé dans la galerie qui s’étendait sous ma chambre ; on heurtait à une porte, et cette porte craquait. Je courus, je prêtai l’oreille au fond du corridor, et j’appelai à demi-voix la sentinelle ; pas de réponse.

J’eus bientôt réveillé les canonniers, endossé l’uniforme, et prenant mon sabre sans fourreau, je courus du côté du bruit. Nous arrivâmes trente à peu près dans le rond-point que forme la galerie vers son centre, et à la lueur de quelques lanternes, nous reconnûmes les Prussiens, qu’un traître avait introduits par la poterne fermée. Ils se pressaient avec désordre, et en nous apercevant ils tirèrent quelques coups de fusil, dont l’éclat fut effroyable dans cette pénombre et sous ces voûtes écrasées.

Alors on se trouva face à face ; les assaillants continuaient d’arriver ; les défenseurs descendirent précipitamment dans la galerie ; on en vint à pouvoir à peine se remuer, mais il y avait entre les deux partis un espace de six à huit pieds, un champ clos que personne ne songeait à